Contexte
Après la défaite du royaume de Jérusalem à Hattin, qui entraîne la perte de la ville sainte, le pape Grégoire VIII appelle à la Troisième croisade. Les rois Richard Cœur de Lion et Philippe Auguste, ainsi que l’empereur Frédéric Barberousse, y répondent. Ce dernier meurt malheureusement noyé durant le voyage, et c’est dans le plus grand désordre qu’une partie seulement des troupes germaniques arrivent au siège de Saint-Jean-d’Acre.
Création de l’Ordre
Peu de Croisés parlant allemand, un regroupement de marchands originaires de Brême et de Lübeck créent un hospice pour les chevaliers germaniques blessés au combat, utilisant les voiles de leurs navires pour en faire des bandages. En 1191, Saint-Jean-d’Acre retourne aux mains des Croisés et la fraternité de soignants de langue allemande s’installe dans l’hôpital de la ville sous la houlette des chevaliers hospitaliers. Il faudra attendre le 19 février 1199 pour que le pape Innocent III reconnaisse l’indépendance de cette fraternité. Celle-ci observera dorénavant les règles hospitalières des chevaliers Hospitaliers et les règles militaires des Templiers. L’ordre des chevaliers de l’Hôpital Sainte-Marie des Teutons de Jérusalem est né !
L’Ordre en Hongrie
L’Ordre gagne en notoriété et en influence dans les royaumes latins d’Orient et, rapidement, un homme providentiel en prend les rênes en 1209 : le quatrième Grand Maître Herman von Salza. Grand diplomate et visionnaire, Herman von Salza comprend que les royaumes latins d’Orient ne pourront tenir sans une installation permanente de chevaliers chrétiens. Or les croisades, malgré l’important afflux de chevaliers qu’elles draînent dans leur sillage, ne permettent pas cette pérennité. Une fois la croisade terminée, la plupart des chevaliers rentrent en effet chez eux, en Europe. Bien que les ordres de moines-soldats tentent de pallier ce manque, Herman von Salza souhaite pérenniser son ordre en terres chrétiennes. C’est ainsi qu’à partir de 1211, l’Ordre porte assistance au roi André II de Hongrie pour protéger les frontières septentrionales de son royaume des pillages des Coumans. L’Ordre construit des fortifications le long de la frontière de Transylvanie, mais André II ne voit pas d’un bon œil ces puissants chevaliers qui érigent des places fortes dans son royaume. Il prétexte un différend d’usage et saisit la justice pontificale pour expulser les chevaliers Teutoniques de son royaume. Il obtient gain de cause en 1225, et l’Ordre doit abandonner toutes ses possessions hongroises.
La Cinquième croisade
Parallèlement, les croisades battent leur plein. Après l’échec de la Quatrième croisade, qui se termine par le sac de Constantinople par les Templiers en 1202, l’ordre Teutonique participe à la Cinquième croisade en 1217. Conduite par Pélage, le légat pontifical, elle compte parmi ses chefs Jean de Brienne, roi de Jérusalem, et Herman von Salza. L’objectif est de prendre la ville de Damiette et de proposer au sultan d’Égypte Al Kamil un échange contre Jérusalem. La ville est prise en 1218 mais Pélage, se sentant pousser des ailes, certain que l’armée du Christ ne peut perdre face aux infidèles, pousse la guerre jusqu’au Caire. Le sultan Al Kamil a pourtant proposé à de nombreuses reprises des échanges avec Jérusalem, et plus encore ! Les chefs chrétiens désapprouvent également l’attitude de Pélage et souhaitent accepter les offres du sultan. Mais rien n’y fait, Pélage veut aller au Caire. Finalement, en 1221, devant les murs de Mansourah, les Croisés subissent une cuisante défaite due en grande partie aux crues du Nil, qui viennent engloutir leur flotte et une partie de l’armée. Les positions chèrement obtenues au combat comme Damiette deviennent intenables. La Cinquième croisade est un échec retentissant.
À la suite de ces deux échecs, en Hongrie et en Égypte, Herman von Salza use de diplomatie en arrangeant en 1225 le mariage entre Frédéric II, empereur du Saint-Empire romain germanique, et Isabelle de Brienne, fille de Jean de Brienne et héritière du royaume de Jérusalem. De ce fait, il entre dans les bonnes grâces de l’empereur dont il devient le conseiller, et il le conduit à prendre la croix lors de la Sixième croisade pour libérer Jérusalem, arrangeant de ce fait les relations avec le trône de Saint-Pierre, tout en recevant des garanties territoriales pour l’ordre Teutonique.
L’ordre Teutonique en Prusse
En 1226, le prince Conrad de Mazovie appelle à son tour les chevaliers Teutoniques en renfort. Il est alors en lutte pour unifier la couronne de Pologne mais n’y parvient pas à cause des tribus païennes du Nord de la Prusse. Herman von Salza demande des garanties à l’empereur Frédéric II d’une part, puis au Saint-Siège de l’autre. Frédéric II promulgue alors la Bulle d’or de Rimini en 1226, qui octroie aux chevaliers Teutoniques tous les droits sur les terres conquises. En 1234, la bulle pontificale de Rieti confirme les écrits de Rimini. Les croisades du Nord commencent alors, et les chevaliers Teutoniques évangélisent ces terres païennes, se taillant au passage un véritable royaume en Prusse.
La Sixième croisade
Du côté de la Terre sainte, la Sixième croisade démarre en 1228. À la suite du mariage de Frédéric II et d’Isabelle de Brienne, l’empereur est désormais obligé de partir en croisade pour reprendre le royaume de sa femme, au risque d’être excommunié. Encore une fois, Herman von Salza et l’ordre Teutonique sont en première ligne pour assister l’empereur. Cependant, le départ mainte fois reporté agace profondément le Saint-Siège, qui finit par excommunier l’empereur. Au même moment, le sultan Al Kamil, alors en guerre contre son frère, le sultan de Damas, fait appel à Frédéric II. Mais le temps que l’empereur arrive en Terre sainte, Al Kamil a triomphé de son frère. Néanmoins, une fois Frédéric II sur place, il descend jusqu’à Jaffa, où il renforce sa position, avant de commencer les négociations avec le sultan d’Égypte. Il obtient Jérusalem et ses alentours sans combattre. Il ira quelques jours plus tard se faire couronner roi de Jérusalem avant de prendre le chemin du retour. L’objectif de la croisade est atteint, mais pour de nombreux Croisés comme pour le Pape, cela n’est pas satisfaisant et Frédéric II reste excommunié.
Malgré trois autres croisades et une défense acharnée des princes chrétiens en Orient, les États latins d’Orient se réduisent à peau de chagrin et leur dernier bastion, Saint-Jean-d’Acre, tombe en 1291. C’est la fin de l’ordre Teutonique en Orient, dont le siège est temporairement déplacé à Rome et à Venise avant d’être implanté dans son nouveau fief et raison d’être, le château de Malbork en Prusse.
L’apogée de l’ordre Teutonique
Malgré la perte de la Terre sainte, l’ordre Teutonique, sous l’impulsion et la vision d’Herman von Salza, a conquis l’entièreté de la Prusse (du Brandebourg à la Lituanie). Il absorbe rapidement les chevaliers Porte-Glaive de Livonie (Estonie et Lettonie) dont les rangs ont été décimés à la suite de leur défaite en 1236 lors de la bataille de Siauliai, face à la Lituanie. Ces derniers gardent néanmoins une très grande indépendance en Livonie, à tel point qu’une Maitrise y est créée, à l’image de celles d’Allemagne et de Prusse.
Après la prise de Dantzig en 1308, les relations se tendent avec la Pologne, qui dès lors ne dispose plus d’accès à la mer Baltique, contrairement à l’Ordre qui développe un véritable réseau commercial de ports marchands au travers de la ligue hanséatique. Dantzig devient même le plus important port de la Baltique. L’Ordre prospère sur mer comme sur terre, dispose de terres agricoles fertiles, de ressources naturelles telles que l’ambre en quantité, et développe un réseau de communication particulièrement efficace : c’est l’un des premiers réseaux postaux réguliers au monde. Le tout est protégé par une puissante armée qui ne manque pas de faire régulièrement des incursions en territoire païen de Lituanie pour ramener butin, bêtes et esclaves.
Le début d’un lent et long déclin
Mais la prospérité n’est que de courte durée. En 1386, le prince Ladislas Yaguelon de Lituanie épouse Edwige d’Anjou, reine de Pologne. Dans cette optique, Ladislas doit se convertir au christianisme. Dès lors, l’ordre Teutonique ne peut plus justifier ni ses incursions ni ses guerres contre la Lituanie, désormais chrétienne. Ils refusent cependant de reconnaître la conversion de Ladislas et continuent à considérer la Lituanie comme terre païenne. Lorsque la guerre éclate entre une alliance polono-polituanienne et l’ordre Teutonique, celui-ci, certain de sa supériorité, tombe droit dans le piège tendu par la cavalerie légère de Ladislas le 15 juillet 1410 et subit la plus grosse défaite de son histoire lors de la bataille de Tannenberg. L’armée est anéantie, et bien que les conséquences immédiates ne se font pas sentir, l’Ordre est contraint de faire assurer sa sécurité par des compagnies de mercenaires très onéreuses, ce qui entraîne sa faillite financière. Le tout dans un environnement de plus en plus hostile à la théocratie mise en place par les moines-soldats. Les riches cités marchandes de la ligue hanséatique, de leur côté, gagnent en autonomie et acceptent de moins en moins l’ingérence de l’Ordre dans leurs affaires, ce qui accentue encore les problèmes financiers de celui-ci. Les chevaliers Teutoniques cèdent et vendent petit à petit tous leurs châteaux et forteresses jusqu’en 1525, date à laquelle le Grand Maître Albert von Brandebourg se convertit au protestantisme avant de rompre ses vœux et de se proclamer duc de Prusse et vassal du roi de Pologne.
Dès lors, le maître d’Allemagne est élu Grand Maître de l’Ordre. La Livonie, trop isolée géographiquement et géopolitiquement, se fait peu à peu annexer par les princes de Novgorod. Seules les commanderies d’Allemagne survivent au cataclysme de 1525. Les grands maîtres se placent sous la protection des empereurs Habsbourg. La famille impériale s’approprie même la maîtrise de l’Ordre. Les grands maîtres ne sont désormais plus élus mais nommés par les Habsbourg, qui placent systématiquement à la tête de l’Ordre un membre de leur famille.
Cependant, les guerres de Religion qui endeuillent le Saint-Empire-Romain-Germanique n’épargnent pas l’Ordre, qui est spolié de nombreuses commanderies par des princes protestants. Avec la Révolution française de 1789, l’Ordre est privé de la totalité de ses possessions françaises.
Au tout début du xixe siècle, l’Ordre est dissous par Napoléon Ier par le traité de Presbourg après la bataille d’Austerlitz, mais réhabilité lors du traité de Vienne de 1815.
Au xxe siècle, bien que n’étant plus que l’ombre de ce qu’il a été, l’Ordre participe quand même à la Première Guerre mondiale, mais uniquement au travers de religieuses qui œuvrent en tant qu’infirmières sur le front. Adolf Hitler supprime une seconde fois l’ordre Teutonique, envoyant ses derniers chevaliers dans les camps de concentration tout en accaparant leur histoire pour sa propagande nazie.
Mais l’ordre Teutonique n’est pas mort pour autant et est finalement réhabilité dans ses fonctions religieuses et hospitalières, cependant uniquement après la Seconde Guerre mondiale. À partir de là, il range ses épées dans les placards de l’Histoire pour revenir à sa devise initiale : « Soigner et guérir ensemble ».